23 Juillet 2021
Alexandre Guillemoz (1941-2021)
Directeur d'études à l'EHESS jusqu’en 2006,
président de l'Association française pour l'étude de la Corée de 2001 à 2005
président de l'Association for Korean Studies in Europe de 2003 à 2007.
Né le 19 juin 1941, Alexandre Guillemoz est mort près des siens dans la nuit du 21 juillet 2021. Souffrant de faiblesses cardiaques, sa santé s’était brusquement aggravée. L'un des rares spécialistes mondiaux du chamanisme coréen, il avait apporté à l’ethnoscénologie naissante, avec enthousiasme, sa compétence, sa générosité et le souffle de la découverte patiente, sensible, précise, attentive aux personnes et aux subtilités esthésiologiques du terrain. Intervenant à l’université de Paris 8 en 1996, dans l’un des premiers séminaires de la discipline il avait présenté ses travaux sur les mudang, la diversité des kut, et les pièges de l’ethnocentrisme. Aux étudiants qui s’interrogeaient sur les frontières entre les arts et les croyances, il avait lancé :
Lui-même avait conduit sa vie avec liberté, rigueur, modestie et une très grande ambition éthique, spirituelle, marquée par son compagnonnage avec les « cultures » de la Corée telles qu’elles sont vécues par les gens. Encore étudiant il avait rencontré à Paris la peintre coréenne Bang Hai Ja, venue en 1961 pour y poursuivre sa formation. Ils s’épousent en 1967, et en 1968 décident de partir pour la Corée y passer quelques mois.
Ils y restent 8 ans. Bang Hai Ja redécouvre les traditions culturelles dans un pays soumis à la répression d’un pouvoir autoritaire. Un fils, Simon naît en juillet 1969. Une fille, Sabine, en août 1973. Alexandre s’imprègne de la réalité souffrante d’une population qui a enduré également l’horreur de la guerre. Il comprend l’importance que l’on doit accorder aux biographies, parfois masquées par les discours et les comportements. Mieux qu’un traité, il l’expose dans un ouvrage magistral La Chamane à l'éventail, Récit de vie d'une mudang coréenne (Ed Imago, 2010). Ce talent de peindre le réel afin de lui garder sa substance vivante apparaît également dans l’un de ses premiers textes : Les Algues, les anciens, les dieux : la vie et la religion d’un village de pêcheurs-agriculteurs coréens, (Paris : Le Léopard d’or, 1983).
Bang Hai Ja est une peintre internationalement connue pour son esthétique charnellement spiritualiste, non figurative. L’œuvre d’Alexandre semble se combiner avec elle dans une sorte de dialogue qui permet de mieux accéder aux nuances de l’art, de la poésie et du numineux.
En ce moment, je pense à plusieurs thèses qu’il a dirigées, en particulier à l’une qui fait écho à son couple : « La construction de la catégorie identitaire “femme mariée à un étranger” dans la société sud-coréenne : de son émergence à la naissance de la Fédération World-KIMWA (1945-2006) », soutenue par Kyung-Mi Kim. Et l’autre qui fait écho à son intérêt pour l’ethnoscénologie : « Rituel ou spectacle ? des représentations chamaniques coréennes (kut) dans des salles occidentales : autour de la chamane (mudang) Kim Kŭm-Hwa » soutenue par Hervé Péjaudier en 2015.
J’y ajoute celle de Kyung-Eun Shim, dirigée par Blandine Bril, où nous nous étions retrouvés autour de nos passions: « L'assimilation du tour-pivot en danse classique la Pirouette en dehors par la danse coréenne Hanbaldeuleodolgi : une étude comparative de la manière dont la danse classique et la danse coréenne maîtrisent les principes fonctionnels du tour-pivot à partir d'une analyse de leur apprentissage ».
Nous pensons à Alexandre et à sa famille : la présence des disparus est plus consistante que les faiblesses de la mémoire.
Jean-Marie Pradier